Paris, le 25
janvier 2016
Avis du
Défenseur des droits n°16-03
Le Défenseur des droits,
Vu l’article 71-1 de la Constitution du 4 octobre
1958 ;
Vu la loi
organique n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits ;
Vu son avis
n°15-17 du 23 juin 2015 ;
Auditionné
le 20 janvier 2016 par la commission des lois du Sénat dans le cadre du suivi
de l’état d’urgence, émet l’avis ci-joint.
Le Défenseur des droits
Jacques TOUBON
Au soir des attentats du 13 novembre
2015, l’état d’urgence a été immédiatement décrété sur le fondement de la loi
n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à
l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions pour une
durée de 12 jours. L’état d’urgence a ensuite été étendu à trois mois à compter
du 26 novembre par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant
l’application de la loi du 3 avril 1955 et renforçant l’efficacité de ses
dispositions.
Elle a, par ailleurs, mis en place un
contrôle parlementaire des mesures mises en œuvre dans ce cadre. En effet, aux
termes de l’article 4-1 nouveau de la loi de 1955 modifié, « L’Assemblée
nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le
Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information
complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. »
Dans ce contexte exceptionnel de
restriction des libertés et au titre de sa mission de défense des droits et
libertés individuelles, le Défenseur des droits a décidé d’accueillir toutes
les réclamations relatives aux problèmes liés à la mise en œuvre des mesures
prises en vertu de la législation sur l’état d’urgence, notamment par
l’intermédiaire de ses 400 délégués territoriaux actuellement en fonction et
qui ont reçu des consignes claires et précises pour recueillir des témoignages
exploitables.
Le Défenseur des droits a entrepris
d’examiner au cas par cas, en toute indépendance et en toute impartialité, les
réclamations relevant de ses domaines de compétence, en particulier celui du «
respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité
sur le territoire de la République », mais aussi de la lutte contre les
discriminations, des défaillances des services publics et de la protection des
droits de l’enfant. Il a, par ailleurs, ouvert un espace dédié d’information
juridique sur le site de l’institution.
Dans le même temps, le Défenseur des
droits informe, de façon hebdomadaire, l’Assemblée nationale et le Sénat des informations
ainsi recueillies afin de soutenir et éclairer le Parlement dans sa mission de
contrôle et d’évaluation des mesures prises par le gouvernement dans le cadre
de l’état d’urgence.
Selon les dernières informations des
ministères de l’Intérieur et de la Justice, le bilan de l’état d’urgence serait
le suivant :
Ø 3099
perquisitions à domicile de jour et de nuit (dont 58,7% ont eu lieu au
cours des deux premières semaines de l’état d’urgence et la moitié ont été
réalisées de nuit), 492 armes découvertes et 453 infractions constatées, 309
gardes à vue et 2 recours.
Ø 542
procédures judiciaires auraient été engagées. Elles portent principalement
sur des infractions à la législation sur les armes (199 procédures) et à la
législation sur les stupéfiants (181 procédures). Les autres enquêtes ouvertes
sont relatives à d’autres types d’infractions (contrefaçon, recel, etc.).
Ø 382
assignations à résidence (avec obligation de pointer au commissariat), 57
référés libertés, 46 recours pour excès de pouvoir. Le nombre de nouvelles
assignations a fortement baissé depuis le 25 novembre.
Ø 4
fermetures provisoires des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de
réunion.
Le ministère de la Justice fait savoir
que 300 procédures sont encore en phase d’enquête et seulement 2 seraient ouvertes au pôle antiterroriste du parquet de
Paris.
Au vu de l’objectif poursuivi par le
régime de l’état d’urgence, à savoir « la prévention d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à
l’ordre public », et plus précisément la prévention d’actes terroristes,[1] et
des résultats obtenus à ce jour, la commission de contrôle parlementaire
devrait s’interroger sur l’efficacité opérationnelle de l’état d’urgence et se
demander si, finalement, l’objectif poursuivi n’aurait pas pu être atteint, en
restant dans le régime de droit commun plus respectueux de l’état de droit et
des libertés fondamentales et en recourant, le cas échéant, aux nouveaux moyens
de surveillance des services de renseignement, récemment modernisés et
renforcés par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
***
Le Défenseur des droits s’est engagé
dans cette démarche avec prudence et modestie car il s’agit d’une institution
encore jeune, au surplus confrontée au contexte juridique, à bien des égards
inédit, de l’état d’urgence. Il s’agit ici de se livrer à des premiers
constats, sans préjudice des prises de position que le Défenseur des droits sera
amené à prendre par la suite sur la poursuite de l’état et sur les textes à
venir, dans le domaine de la sécurité.
- Bilan quantitatif des réclamations
reçues
Ainsi, entre le 26 novembre et le 15
janvier 2016, le Défenseur des droits a reçu 42 réclamations au total, dont :
-
29 saisines
concernant des mesures expressément prises au titre de l’état d’urgence : 18 perquisitions et 11 assignations à résidence (parmi lesquelles 2
ont eu pour conséquence un licenciement et une perte des habilitations et
agréments d’un coordinateur en sûreté aéroportuaire).
- 13 saisines concernant des
situations indirectement liées à l’état d’urgence : 4 refus d’accès à des lieux publics
(dont l’exclusion d’une salle de cinéma, le refus d’accès à un collège d’une
mère voilée ou encore le refus d’accès à un commissariat pour port de voile), 2 interpellations (dont une suivie de
garde-à-vue), 1 réclamation relative
à deux licenciements pour port de barbe,
1 mise à pied disciplinaire avec signalement d’un employeur en raison du surnom inscrit sur le
casier de l’employé (Kalkal étant le nom d’un terroriste), 1 suspension de carte professionnelle, 1 refus de délivrance de passeport, 1 contrôle à l’aéroport, 1 fouille de véhicule en violation du
droit à la vie privée des passagers et 1
interdiction de sortie de territoire.
La majorité des réclamations reçues
proviennent de la région d’Ile-de-France (15) et plus particulièrement des
départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Les saisines émanent
également des régions Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées (6),
Auvergne-Rhône-Alpes (5), Nord-Pas-de-Calais (4), Aquitaine-Limousin (3),
Provence-Alpes-Côte-D’azur (3), Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine (2), Picardie
(1), Centre-Val de Loire (1), Bretagne (1) et d’Outre-mer (1 réclamations de
Guyane).
Si certaines réclamations ont pu trouver
une issue favorable (indemnisation ou aménagements des conditions
d’assignation), la plupart sont encore en cours d’instruction, en attente d’une
réponse de l’administration mise en cause ou de la transmission d’informations
complémentaires par le réclamant.
- Bilan qualitatif : leçons tirées de
l’instruction des réclamations
Ø
En ce qui concerne les
perquisitions :
Les saisines portant sur le déroulement
des perquisitions font état pour la plupart d’interventions de nuit, d’un
dispositif policier massif, de dégradations matérielles du domicile
(destruction de la porte d’entrée, saccage des lieux, destruction d’objets
personnels), de l’utilisation de menottes, de violences physiques et verbales
(propos discriminatoires liés à la pratique de la religion musulmane notamment)
et de la présence d’enfants au cours de l’opération.
Il
convient de souligner qu’un nombre important de réclamations relève de simples
témoignages sans demande précise, les réclamants estimant avoir subi une
perquisition ou être assignés à résidence sans raison légitime.
La
présence d’enfants au cours des perquisitions :
Parmi les saisines reçues, quatre font
état de la mise en œuvre de perquisition, en pleine nuit, en la présence
d’enfants, parfois très jeunes, sans qu’aucune précaution n’ait, semble-t-il,
été prise. Des réclamants dénoncent le fait que leurs enfants ont été réveillés
dans leur lit, braqués avec des armes et qu’ils sont depuis traumatisés. Or, la
circulaire du 25 novembre 2015, prise par le ministre de l’Intérieur rappelle
fermement aux policiers ou aux gendarmes qui procèdent aux perquisitions leur
devoir d’exemplarité et qu’ils se doivent d’être attentifs au respect de la
dignité et de la sécurité des personnes qui sont placées sous leur
responsabilité.
Il est essentiel d’éviter que les
interventions soient traumatisantes pour les enfants afin qu’eux-mêmes ne
soient pas durablement perturbés et que la représentation qu’ils auront des
fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie ne soit pas
négative, ce qui pourrait contribuer plus tard à des attitudes agressives à
l’encontre de ces derniers.
Le Défenseur des droits rappelle ici les
recommandations faites dans une décision du 26 mars 2012[2] et
préconisant qu’avant l’intervention, des informations sur la présence, le
nombre et l'âge du ou des enfants présents devaient être recueillies et de
prévoir, si possible, dans l’équipage un intervenant social ou un psychologue,
ou un fonctionnaire de police ou militaire de la gendarmerie de la brigade de
protection des familles. A tout le moins, une personne, au sein de l'équipage
intervenant, doit se charger plus spécifiquement de la protection du mineur.
Pendant l’intervention, policiers et
gendarmes se doivent de « ne pas mettre les menottes aux parents devant
l'enfant » et de prendre ce dernier « à part », sur le palier de l'appartement
par exemple, afin qu'« il n'assiste pas à l'intervention ». Lorsque les membres
des forces de sécurité arborent des cagoules, il est recommandé de les enlever
pour parler à un enfant.
De plus, le Défenseur des droits, dans
une décision du 13 novembre 2012[3],
recommande que la formation initiale et continue des forces de l’ordre, et
notamment des unités spécifiques et cagoulées tels que le RAID, le GIPN, le
GIGN, fasse spécialement état, outre le placement des enfants dans une pièce
séparée, de la nécessité de privilégier la surveillance des enfants et le
dialogue avec eux par des effectifs non cagoulés. Si l’ensemble de ces
conditions est impossible, la cagoule doit cependant être enlevée pour parler
aux enfants en bas âge qui ne sont pas susceptibles d’identifier les forces de
sécurité.
Il est intéressant par ailleurs de
rappeler que la CEDH, dans un arrêt du 15 octobre 2013[4], a
condamné la Bulgarie, pour violation de l’article 3 de la Convention, à propos
du déroulement d’une perquisition au domicile de suspects, en présence de
jeunes enfants. La Cour a retenu, entre autres, un recours excessif à la force
« même si les requérants n’ont pas
été physiquement blessés ». Elle a en particulier sanctionné les
autorités, en ce que « la présence éventuelle des enfants mineurs et de l’épouse du requérant
n’a jamais été prise en compte dans la planification et l’exécution de
l’opération policière » (…) « ses deux filles étaient
psychologiquement vulnérables en raison de leur jeune âge – cinq et sept ans
respectivement » (…).
Cet arrêt pose également la question de
la motivation du choix de l’heure des interventions en pleine nuit (l’effet de
surprise est-il toujours nécessaire ?) « l’heure matinale de
l’intervention policière et la participation d’agents spéciaux cagoulés, qui
ont été vus par [l’épouse] et ses deux filles, ont contribué à amplifier les sentiments de peur et d’angoisse éprouvés
par ces trois requérantes à tel point que le traitement infligé a dépassé le
seuil de gravité exigé pour l’application de l’article 3 de la Convention ».[5]
Tout
en tenant compte du contexte et donc des éventuelles adaptations nécessaires,
le Défenseur des droits recommande que la question de la présence des enfants
doit être spécialement considérée.
Les
saisies informatiques au cours des perquisitions :
La loi du 24 novembre 2015 prolongeant
l’état d’urgence et modernisant la loi de 1955 donne la possibilité aux
autorités d’accéder « par un système informatique ou un équipement terminal
présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées
dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou
équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du
système initial ou disponibles pour le système initial ». Les données,
stockées ou accessibles, peuvent alors être copiées, mais non saisies (article
11 de la loi de 1955 modifiée).
De plus, la circulaire du ministère de
l’Intérieur du 25 novembre 2015 relative aux conditions inhérentes au
déroulement des perquisitions administratives précise que « la perquisition administrative ne permet
aucune saisie mais autorise que les ordinateurs ou téléphones soient consultés
et permet également de procéder à leur copie sur tout support. Une saisie des
objets ne peut procéder que de l’ouverture d’une procédure judicaire et être
réalisée exclusivement par l’OPJ présent. »
Le
recueil des données personnelles lors des saisies informatiques dématérialisées
réalisées pendant les perquisitions administratives doit être entouré de garanties
quant à l’usage desdites données, notamment à d’autres fins que la lutte contre
les atteintes à la sureté de l’Etat.
Le
procès-verbal et ses motifs :
Dans le cadre du traitement de ces
réclamations, le Défenseur des droits demande aux réclamants de produire les
arrêtés de perquisition. A la lecture des motifs, il relève que deux types
d’arguments sont avancés :
- soit
la personne qui fait l’objet de la perquisition est elle-même mise en
cause pour être un activiste de la mouvance djihadiste (soupçons fondés de terrorisme),
- soit la personne qui fait l’objet de
la mesure s’est trouvée, directement ou indirectement, à un degré non précisé,
en relation avec un activiste de la mouvance djihadiste. Le conditionnel est
alors employé lorsqu’il est indiqué que le logement et les véhicules des
personnes visées seraient susceptibles d’être utilisés par des activistes
djihadistes (soupçons supposés de
terrorisme).
Par ailleurs, les réclamants indiquent
qu’à la fin des perquisitions, lecture leur est faite d’un procès-verbal, mais
qu’il ne leur en est jamais délivré copie. Souhaitant à minima, pouvoir
solliciter le remboursement des frais occasionnés pour réparer les portes
d’entrée de leur logement, ils estiment qu’ils devraient pouvoir être en mesure
de produire un document attestant d’un bris de porte dans le cadre d’une
demande en indemnisation, voire d’une procédure administrative contentieuse.
Le
Défenseur des droits estime qu’un procès-verbal indiquant les bris éventuels
doit être délivré aux personnes ayant fait l’objet d’une perquisition. En cas
d’erreur d’adresse ou de porte dans un immeuble, un tel procès-verbal devrait
également être délivré à l’occupant des lieux.
L’indemnisation
des dommages
Ces
constats nous mènent à nous interroger sur la question de l’indemnisation des
dommages causés par ces mesures. La
circulaire du 25 novembre 2015 relative aux conditions inhérentes au
déroulement des perquisitions administratives dispose que « l’engagement de la responsabilité de l’Etat
suppose l’existence d’une faute lourde. Sous réserve de l’interprétation des
juges du fond, le fait pour les forces de l’ordre d’enfoncer la porte ou de
causer des dégâts matériels ne devrait pas être à lui seul constitutif d’une
faute lourde, dès lors que les nécessités liées à la lutte contre le terrorisme
ou à la prévention des atteintes à l’ordre public, dans le cadre de l’état
d’urgence, justifient leur intervention. »
Or, ces mesures sont de plus en plus
contestées (perquisitions non justifiées, assignations à résidence sur la base
d’un simple soupçon, couvre-feu sans lien avec le terrorisme, erreurs d’adresse
…). Au-delà des dégâts matériels, on ne peut oublier l’humiliation ressentie
par les familles, les traumatismes qui s’ensuivent (notamment pour les enfants)
et parfois les changements dans les relations avec les voisins et les collègues
de bureau.
Le
Défenseur des droits recommande de prévoir une procédure d’indemnisation
des dommages causés sans justification dans le cadre de l’état d’urgence : un
formulaire type avec une adresse et un numéro de téléphone devrait être mis en place pour faciliter la
demande d’indemnisation[6].
Ø
En ce qui concerne les
assignations à résidence :
Ces réclamations concernent majoritairement
les modalités d’assignation (nécessité d’un allégement de la mesure soit en
raison d’une maladie, d’un handicap ou d’enfants à charge).
Le Défenseur des droits a été saisi par
les parents d’un lycéen de 18 ans, assigné à résidence avec obligation de
pointage trois fois par jour, craignant que ce dispositif n’amène leur fils à
manquer des cours et risquer l’exclusion de son établissement pour absentéisme.
Le Défenseur des droits a estimé qu’il convenait de permettre la poursuite de
la scolarité dans de bonnes conditions, dès lors notamment que le suivi
effectif des cours semble être un facteur de stabilité pour un jeune en voie de
radicalisation. Les interventions simultanées des parents du jeune et du
Défenseur des droits ont abouti à l’aménagement des pointages de sorte à ce que
la scolarité puisse se poursuivre.
Aussi, un réclamant a sollicité le
Défenseur des droits pour appuyer sa demande de voir s’exercer la mesure
d’assignation à résidence dont il fait l’objet au domicile de ses parents situé
dans une commune éloignée du lieu de pointage. Il indique qu’il se trouve dans
une situation précaire, étant démuni d’emploi et en cours de résiliation de
bail. Le ministère de l’intérieur a été saisi.
D’une
manière générale, il y a lieu de prévoir l’adaptation des contraintes résultant
d’une mesure d’assignation à résidence pour tenir compte des réalités
quotidiennes, dès lors qu’une telle adaptation n’annihile pas les effets de la
mesure.
Ø
En ce qui concerne les « dommages
collatéraux » :
- Les mesures prises dans le cadre de
l’état d’urgence peuvent avoir des conséquences professionnelles pour la
personne.
Le Défenseur des droits a ainsi été
saisi de plusieurs cas de licenciements :
-
Une
personne a fait l’objet d’une procédure de licenciement pour faute lourde en
raison des « évènements qui ont été
portés à la connaissance » de son employeur.
-
Le
réclamant a été convoqué par son employeur et mise à pied disciplinaire en
raison du surnom "KALKAL" (nom d'un terroriste) qu’il avait inscrit
sur son casier 2 mois auparavant. De plus, son employeur lui a annoncé qu'il
allait le signaler au commissariat.
-
Le
licenciement de 2 agents de sécurité pour port de barbe, dans une entreprise de
sécurité où il semblerait que les salariés de religion musulmane seraient
harcelés depuis les attentats.
Par ailleurs, bien qu’il n’ait pas été
saisi à ce jour de cette hypothèse, le Défenseur des droits relève qu’une
assignation à résidence couplée à une interdiction de quitter la commune de
résidence peut avoir pour conséquence d’empêcher la personne concernée par la
mesure de se rendre sur son lieu de travail. En effet, le salarié travaille
bien souvent en dehors de sa commune de résidence. Le Défenseur des droits
invite ainsi à faire preuve de souplesse dans les aménagements à apporter à la
mesure d’assignation afin de ne pas priver la personne de son travail.
Concernant le cas particulier des agents de sécurité, le Défenseur des droits a
été saisi par un coordinateur en sûreté aéroportuaire au sujet d’une décision
du Préfet lui retirant son habilitation d’accès à la zone de sûreté à accès
réglementé d’un aéroport, motivé par sa mise en cause pour détention d’une arme
de catégorie C non déclarée, qui a conduit à sa convocation devant le tribunal
de grande instance de Toulouse assortie d’un placement sous contrôle
judiciaire. Les faits pour lesquels cette personne a été mise en cause étant
incompatibles avec l'exercice d'une activité dans les zones de sûreté à accès
réglementé des aérodromes, le préfet a fait usage des pouvoirs qui lui sont
conférés par la réglementation en vigueur.
Un salarié d’une grande entreprise de
sécurité privée, doublement habilité sécurité privée et sécurité incendie,
s’est vu retirer sa carte professionnelle d’agent de sécurité par le Conseil
national des activités privées de sécurité (CNAPS), en application de l’article
L. 612-20 du code de la sécurité intérieure (pouvoir d’urgence du président de
la Commission d’agrément et de contrôle), au motif « qu’il ressort de l’enquête administrative, et en particulier du fichier
des personnes recherchées, qu’il existe des indices sérieux et concordants
établissant que son comportement est susceptible de porter atteinte à la
sécurité des personnes et des biens, à la sécurité publique, à la sûreté de
l’Etat et qu’il est contraire à la probité ». A la suite de cette
décision, son employeur l’informe que sa carte professionnelle n’est plus
valide et suspend son contrat de travail dans l’attente de la production d’une
nouvelle carte. Il n’est pas tenu compte du fait qu’il peut encore exercer
l’activité de sécurité incendie qui n’est pas subordonnée à la détention de la
carte professionnelle d’agent de sécurité. Le réclamant a déposé un RAPO auprès
du CNAPS.
Ce
cas met en évidence une communication non prévue par les dispositions
textuelles entre les
services de police et le CNAPS, alors que ce dernier, dans le cadre des
enquêtes administratives menées aux fins d’apprécier la moralité des agents, ne
peut avoir accès qu’aux informations relatives aux faits ayant donné lieu à
condamnation, en application de l’article 230-8 du code de procédure pénale.
- Le climat d’état d’urgence créé
également des difficultés d’accès à certains lieux publics.
Ainsi, le Défenseur des droits a été
saisi par une personne porteuse d’un foulard, membre du comité d’animation des
parents d’élèves qui s’est vue refuser l’accès au collège, après la pause
méridienne, en raison du règlement intérieur de l’établissement prohibant les
signes religieux alors qu’elle avait pu accéder à l’établissement sans
difficulté le matin même pour préparer un événement organisé par ledit comité.
Le principe de neutralité religieuse de l’article L.141-5-1 du code de
l’éducation ne s’appliquant pas aux parents d’élèves, le Défenseur des droits a
saisi le principal du collège dès lors que la décision de refus opposée à
l’intéressée était susceptible de présenter un caractère discriminatoire en
raison de l’appartenance religieuse.
Le Défenseur a été saisi par des parents
insatisfaits des modalités d’accès aux établissements scolaires lorsqu’ils
viennent chercher leurs enfants à la garderie. Il a en effet été indiqué aux
parents que les portes seraient fermées à 16h40, puis ouvertes durant 5 minutes
à intervalles fixes d’une demi-heure pour permettre aux parents de récupérer
les enfants, mais qu’ils ne pourraient pas rentrer dans l’établissement, sous
peine d’exclusion définitive des enfants de la garderie. Toutefois, au vu des
dispositions combinées du plan Vigipirate et des dispositions du CGCT, il a été
considéré que le maire mis en cause pouvait légalement édicter les mesures qui
lui paraissaient propres à assurer la sécurité aux abords des établissements
scolaires, dans le cadre des activités périscolaires.
***
Si un état d’exception peut répondre à
une situation de danger exceptionnel et imminent, cette restriction ponctuelle
des libertés doit être liée à sa finalité et donc au retour de l’Etat de droit.
« Ce
n’est pas parce qu’on va constitutionnaliser l’état d’urgence que l’on va
éradiquer le terrorisme ou lutter plus facilement contre ceux qui commettent
des actes de terrorisme. L’état d’urgence n’est pas une mesure de prévention
mais une thérapie. La Constitution n’est pas faite pour cela mais pour établir les
règles générales de respect des droits et des obligations de tous les citoyens
égaux en droits »
(Président du CNB).
Le
Défenseur des droits recommande d’encadrer davantage l’état d’urgence en posant
des limites matérielles et temporelles, et d’exiger un lien de causalité strict
entre les motifs de la mesure prise et ceux de l’état d’urgence.
Il
recommande d’inscrire des garanties dans le projet de
loi constitutionnelle de protection de la Nation telles que le
respect des principes de nécessité et de proportionnalité.
En
effet, si le Défenseur des droits est convaincu de la nécessité de mesures
temporaires d’exception pour affronter une situation exceptionnelle, il invite
à une nécessaire conciliation entre les exigences légitimes de sécurité et les garanties
renforcées qui doivent être apportées au respect des droits et libertés.
Arrêt CEDH,
Gutsanovi c/ Bulgarie du 15 oct. 2013, n° 34529/10.